
Par le petit bout de ma lorgnette
3 - Championnats du monde "mode d'emploi"
Par Guy Dupont
Par le petit bout de ma lorgnette
Championnats du monde "mode d'emploi"
Pour le commun des bridgeurs, qui n'ambitionne pas trop de devenir un jour champion du monde, il paraît difficile de s'y retrouver dans la jungle des principales épreuves organisées par la WBF (la fédération mondiale de bridge) débouchant sur un titre suprême, d'autant que les formats ont quelque peu changé, ces derniers temps.
Voici un petit « mode d'emploi des championnats du monde » permettant d'y voir plus clair :
• Les championnats du monde par équipes (World Teams Championships)
La Bermuda Bowl, la Venice Cup (l'épreuve féminine) et la Senior Bowl, sont des championnats du monde par équipes qui ont lieu tous les deux ans. Pour y participer, il faut qu'une équipe nationale se qualifie parmi les huit zones géographiques de la fédération mondiale. L'Europe a droit généralement à six ou sept représentants (c'est le championnat d'Europe qui sert de sélection), sur les vingt-deux admis à disputer la compétition – ce qui n'est guère équitable, dans la mesure où l'Europe, avec 50 pays affiliés, représente plus de la moitié des effectifs licenciés de la WBF. Autre bizarrerie, les Etats-Unis ont droit, pour leur part, à deux représentants d'office – ce qui ne se justifie plus guère aujourd'hui, mais c'est ainsi et tout le monde l'accepte ! Prochains rendez-vous en septembre 2015, à Chennai, en Inde, pour la 42ème édition de la Bermuda Bowl, et en 2017, à Lyon, pour la 43ème.
Créée en 1950, la Bermuda Bowl a été gagnée deux fois par la France (en 1956 et 1997). Pour leur part, les Françaises ont remporté deux fois la Venice Cup (en 2005 et 2011), créée en 1974, et les seniors français ont obtenu une victoire (en 2011), en sept éditions.
• Les jeux mondiaux du bridge (World Bridge Games)
• Les championnats du monde catégoriels (World Bridge Series)
Alternativement, les années paires, se disputent soit les Jeux mondiaux du bridge (World Bridge Games), qui ont succédé à ce qu'on appelait les Olympiades par équipes, soit les championnats du monde par catégories (World Bridge Series) – tous les quatre ans, donc.
Aux Jeux mondiaux du bridge (ex-Olympiades), chaque pays est représenté par une équipe nationale. Trois compétitions sont au programme : Open, Dames et Seniors. L'Open, réunit généralement environ 70 pays. Créées en 1960, les Olympiades ont été remportées quatre fois par l'équipe Open française (1960, 1980, 1992 et 1996).
La troisième principale épreuve mondiale, les championnats du monde catégoriels, présente cette particularité qu'ils sont ouverts à tous, et même aux associations transnationales. Il suffit de s'inscrire – et que le meilleur gagne ! Pas moins de huit compétitions sont au programme, quatre par paires et quatre par équipes, dans les catégories Open, Dames, Seniors et Mixte. Les championnats du monde par paires Open et Dames ont été créés en 1962 (année où les Français Jaïs-Trézel l'avaient emporté). Les championnats par équipes Open et Dames ont été créés en 1978, sous les noms de Coupe Rosenblum et de Coupe McConnell. Une équipe française (Lebel, Soulet, Faigenbaum, Pilon) a gagné la Rosenblum en 1982, à Biarritz.
De l'or et du bronze
La 14ème édition de ces championnats ouverts à tous vient d'avoir lieu à Sanya, en Chine. Il y avait peu de Français pour y participer, mais ils ne s'en sont pas moins distingués. En effet, Michel Bessis et Philippe Cronier ont obtenu la médaille d'or dans le championnat Seniors par équipes, partagée avec des coéquipiers américains, Milner-Lall, et polonais, Kowalski-Romanski.
Un autre exploit de taille a été réussi par les jeunes Thomas Bessis et Cédric Lorenzini, qui ont décroché la médaille de bronze par paires, dans une finale relevée, où d'anciens tenants du titre comme les Italiens Fantoni-Nunes, ou les Américains Meckstroth-Rodwell, terminent respectivement 11es et 14es. C'est la première fois, depuis la victoire de Jaïs-Trézel en 1962, qu'une autre paire française obtient une médaille dans un championnat du monde par paires.
Deux autres médailles de bronze viennent consolider le palmarès français : pour Martine Rossard, Georges Romanowski, Danièle Avon, Jean-Michel Voldoire (associés à une paire polonaise, Mme Brewiak-Gawel), dans le Mixte par équipes, et pour l'inoxydable Christian Mari, qui avait intégré la formation anglaise de Paul Hackett, dans l'épreuve Seniors par équipes. Il s'agit de sa dixième médaille dans un championnat du monde (dont trois sont en or).
Une délégation tricolore peu nombreuse, qui n'a pas empêché la France de prendre la cinquième place au tableau des médailles.
Voyez Thomas Bessis et Cédric Lorenzini à la manœuvre, dans la finale par paires :
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Sud donneur, personne vulnérable. Comment enchérissez-vous ? |
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Solution
Voici la séquence des Français :
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3 ♦ est un Texas, 3SA montre moins de trois cartes à Cœur, et 4 ♦ invite l'ouvreur à rectifier à 4 ♥. 4SA est un Blackwood cinq clés (Roi d'atout compris), et sur la réponse de deux clés sans la Dame d'atout, Bessis junior n'en demande pas moins le chelem. La Dame d'atout a le droit d'être seconde (ou sèche, si le partenaire possède le Valet), et connaissant seulement deux As chez l'ouvreur de 2SA, celui-ci ne devrait pas manquer de détenir le contrôle dans la couleur où il manque le dernier As. Ajoutons à cela qu'en cas de mauvais partage à l'atout, l'adversaire pourrait fort bien livrer le coup à l'entame, et que si le chelem devait chuter, on ne devrait pas être le seul à le déplorer. On n'a pas fait 10 000 kilomètres pour empailler ce genre de chelem dans une finale d'un championnat du monde par paires, où chaque donne est un combat, et qui devrait a priori être appelé par le champ du tournoi. Un chelem quelque peu fragile, certes, qu'il convient de préférer jouer à la couleur, plutôt qu'à SA. Et mieux valait déjà qu'il soit joué par Sud. Joué de l'autre main, il aurait chuté sur une entame à Trèfle : |
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Pas de problème pour Lorenzini, sur l'entame à Pique. Nunes prend de l'As et contre-attaque à Carreau, pour l'As. Les atouts sont dociles et les perdantes mineures peuvent s'envoler sur Roi-Dame de Pique. |
Ayant pris l'entame du Roi de Pique, vous poursuivez par sept tours de Cœur. La position :
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Sur le 2 de Cœur, Est abandonne le 9 de Pique (ou le 10 de Trèfle). Vous défaussez alors la Dame de Trèfle, tandis qu'Ouest défausse un Carreau. Vous poursuivez par Carreau pour le Roi et encaissez l'As de Trèfle – si Est a précédemment lâché le 10 de Trèfle, il écarte cette fois le 9 de Pique. Vous ressortez alors par la Dame de Pique, pour l'As d'Est, qui, victime de ce squeeze de mise en main, se trouve contraint de contre-attaquer sous la Dame de Carreau – et vous laissez venir vers le Valet, votre douzième levée. |
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Un sport de riches ?
Mais, au fait, pourquoi y avait-il si peu de Français à Sanya ? La réponse, on la trouve dans une interview, très critique à l'égard de la fédération mondiale, donnée par les multi champions du monde italiens Alfredo Versace et Norberto Bocchi à une journaliste napolitaine, Laura Camponeschi – rappelons, au passage, que la fédération est dirigée par leur compatriote Gianarrigo Rona.
Selon eux, les championnats du monde de Sanya ont été un véritable « fiasco » sur le plan de la participation. A Lille, en 1998, 327 équipes participaient aux trois compétitions Open, Dames et Seniors. Elles n'étaient que 171 en Chine. A Lille, on dénombrait 1450 paires, contre 400 à Sanya. Les raisons de cette chute ? Tout d'abord, parce que Sanya, qui est la ville la plus difficile d'accès de Chine, est également la plus chère, dans tous les domaines. Pas de vol d'accès depuis l'Europe à moins de 1000 à 1200 euros. Et les hôtels (tous de luxe !) sont hors de prix : 200 dollars la nuit, au bas mot. Le moindre repas coûte 40 euros, et un café, 7 ou 8 euros. Les droits d'inscription sont également excessifs, déplorent encore les champions : de 1500 à 1950 euros pour une paire, si elle participe à quatre épreuves, selon qu'elle joue les championnats par équipes à quatre ou à six. Bref, il fallait débourser au bas mot 5000 euros pour participer à une semaine de compétition à Sanya.
« C'est une contre-publicité pour le bridge, estime Versace. Qui est capable de payer de telles sommes, hormis les joueurs supportés par un sponsor ? »
« Le bridge doit être un sport ouvert à tous, ajoute Bocchi, et non une opportunité de business pour quelques uns ».
Les championnats étaient organisés sous les couleurs (et l'aide financière) de Red Bull, une société chinoise – ce qui explique le choix de Sanya. « Mais à qui ce financement a-t-il vraiment profité ? », se demande Versace, qui conclut : « Je suis triste de voir le bridge devenir un sport pour les seuls professionnels. L'an prochain, les championnats d'Europe auront lieu à Tromso, en Norvège. Une ville à l'intérieur du cercle Arctique, considérée comme étant parmi les trois villes les plus chères d'Europe. Est-il bien nécessaire d'aller au cœur du cercle Arctique pour jouer au bridge et payer la moindre boisson 20 euros ? »
Le loup
Disons aussi un mot pour la défense des internautes bridgeurs qui ont tenté de suivre les compétitions, en direct de Sanya, sur BBO, et qui ont été quelque peu frustrés. En effet, la WBF avait signé un accord avec Our Game, un site chinois de jeux en ligne et celui-ci avait obtenu en exclusivité le droit de diffuser les finales, privant ainsi BBO de le faire. Malheureusement, nombreux furent ceux qui, ne comprenant pas le Mandarin, furent incapables de trouver les clés pour se connecter au site chinois.
Espérons néanmoins longue vie à BBO, ce site gratuit au service des bridgeurs, qui constitue une extraordinaire vitrine du bridge à ciel ouvert. Puisse-t-il encore longtemps nous offrir la possibilité de vivre en direct les grands événements du bridge ! Mais à Sanya, il est à craindre que le loup ne soit entré dans la bergerie...
Championnat du monde universitaire
Pour être complet sur les championnats du monde de bridge, précisons qu'il existe aussi un championnat annuel juniors (alternativement, sur les schémas de la Bermuda Bowl, puis de ceux ouverts à tous). Quelques compétitions annexes sont également organisées sous l'égide de la fédération mondiale. Comme le championnat du monde universitaire, en association avec la Fédération internationale des sports universitaires (FISU). La septième édition s'est déroulée début novembre à Opatija (Croatie), entre 16 équipes. C'est trop peu – tous les pays pouvant y envoyer deux équipes, onze nations seulement étaient présentes. Il y manquait notamment les représentants de grandes nations du bridge, comme les Etats-Unis, les Pays-Bas, ou l'Angleterre. Il faut admettre que si le championnat coûte cher à organiser, il représente aussi un important budget pour les fédérations participantes, qui peuvent y envoyer douze joueurs de moins de 28 ans et cinq officiels – aux droits d'inscription, s'ajoutent le transport et les frais de séjour durant une semaine. Autre raison de ces absences et du manque d'engouement pour l'épreuve : tout le monde ne joue pas vraiment le jeu. On trouve des compétiteurs qui n'usent pas particulièrement leur fond de pantalons sur les bancs de l'université, mais qui sont parfois de véritables pros du bridge.
Il est bon, certes, de faire se confronter nos jeunes bridgeurs dans des compétitions internationales, mais pas dans ces conditions, me semble-t-il. Sans doute, le budget consacré à cette épreuve par les fédérations pourrait-il l'être plus utilement pour leurs jeunes pousses.
La France avait envoyé deux équipes à Opatija. L'une d'elle, avec Alexandre Kilani, Aymeric Lebatteux, Baptiste Combescure, Clément Laloubeyre, a remporté une méritoire médaille de bronze.
Le massacre
Les deux principales caractéristiques du bridge junior sont : 1-avoir la gâchette facile, 2-voir des chelems partout.
Les universitaires chinois auront particulièrement déploré ce second volet, dans leur match contre une équipe de France déchaînée.
Constatez plutôt le massacre :
Donne 26
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Est donneur, tous vulnérables. A quel contrat pensez-vous aboutir, en Nord-Sud ? |
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Et on enchaîne sur la donne suivante. Donne 27 :
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Sud donneur, personne vulnérable. Cette fois, c'est Combescure-Laloubeyre qui vont se distinguer, en Est-Ouest, en appelant carrément 7♥ (seuls dans le tournoi – les Chinois se sont contentés du petit chelem). Un grand chelem avec un As dehors... Mais tout va bien, là encore, lorsque Nord, faute de munition à Pique, ne peut entamer dans la couleur (et que les Trèfles ne sont pas 4-1). Et un autre coup heureux de 11 imp. pour les Français. On comprend qu'au moment des comptes, les Chinois riaient jaune. |
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Terminons par un joli coup technique.
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Sud donneur, Est-Ouest vulnérables. Aux seize tables, on a joué treize fois 3SA, deux fois 6♣, et une fois 6SA. 6♣ est le meilleur des contrats, puisqu'il suffit de couper un Pique de la main courte à l'atout. Kilani-Lebatteux sont parvenus à 6SA (après une ouverture d'1SA en Sud), un contrat beaucoup moins tranquille. Comment jouez-vous sur l'entame du 2 de Pique, pour le Valet d'Est ? |
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Solution
Laisser passer le Valet de Pique serait une option, afin de réduire le compte, avant de chercher une position finale de squeeze. Mais, en l'occurrence, pas la bonne.
Kilani a préféré encaisser l'entame de l'As de Pique, en prévision plutôt d'un squeeze (Cœur-Carreau) de mise en main, qui contraindrait le flanc à se jeter finalement dans la fourchette As-Valet de Carreau. Il a poursuivi par cinq tours de Trèfle, avant de débloquer le Roi de Carreau, puis de présenter son dernier Trèfle.
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La position finale :
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Sur le 3 de Trèfle, Sud a écarté le 7 de Pique, tandis qu'Ouest ne pouvait qu'abandonner, lui aussi, son Pique. Le déclarant a alors poursuivi par trois tours de Cœur, et Ouest a dû offrir la douzième levée en se jetant dans la fourchette à Carreau.
A noter qu'Est aurait été tout autant squeezé avec les deux gardes rouges.
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